Ça

Denis-Martin Chabot, ancien journaliste, est aujourd’hui un auteur, travailleur communautaire et  leader de la communauté LGBTQ+ au Québec. C’est aussi une personne qui affirme publiquement « Je suis séropo » afin de démystifier le VIH et faire reculer la stigmatisation. Il a d’ailleurs reçu, en 2019, le prix Claude-Tourangeau décerné chaque année par Fierté Montréal à une personne ou un organisme ayant eu un apport exceptionnel à la lutte contre la sérophobie.

Dans ce texte très personnel, Denis-Martin raconte sa peur du virus, la honte vécue suivant son diagnostic, de même que la confiance et la paix intérieure qu’il a rebâties au fil des ans. Un témoignage tout à fait pertinent à l’approche du 1er décembre 2021, Journée mondiale de lutte contre le sida.


Ça

Par Denis-Martin Chabot

Quand j’ai su, j’ai eu peur. C’est clair qu’on avait peur d’apprendre ça.

On en a encore peur d’ailleurs.

De ça.

Ça. Je n’osais même pas prononcer son nom.

On ne meurt peut-être plus autant de ça. Mais, on souffre encore de ça.

Physiquement. Les médicaments ne sont pas tout contre ça. Sans oublier les effets secondaires indésirables.

Mentalement. Les médicaments le sont encore moins contre ça.

Ça emmène la honte. Ça faisait partie de ce qu’on appelait dans le temps les maladies honteuses.

Le jugement prolifère allègrement dans notre inconscient collectif. On peut en remercier notre culture judéo-chrétienne qui nous a inculqué la culpabilité jusqu’au plus profond de nos âmes.

Ça, ça se mérite.

Point.

Ok, il y a certes quelques victimes innocentes.

Des exceptions.

Une personne sans reproche ne pogne pas ça.

Quand mon amoureux a su que j’avais ça, il ne m’a pas réconforté, moi qui en aurais eu tellement besoin à ce moment. Il m’a accusé. Il m’a blâmé.

— Tu m’as donc trompé !

Il avait lui-même été voir ailleurs, je ne le savais pas. Je l’ai su bien plus tard. C’est une autre histoire.

Quand j’ai su ça, je n’en ai pas parlé.

À qui en parler ?

Ça, c’est une maladie de gais. C’est clair que tu étais à risque.

— Tu ne te protégeais pas contre ça ?

— Tu trompais ton chum ? Il te trompait ? Il l’a tu, ça ?

Je n’avais pas envie d’entendre ça.

Je n’avais pas besoin d’entendre ça. Je le savais déjà. Ça se répétait constamment dans ma tête.

Je me sentais sale et coupable.

J’avais tellement honte.

Honte de ça.

D’avoir ça.

Comment en parler quand je n’arrivais même pas à m’en parler moi-même ?Comment aller chercher de l’aide alors que j’avais peur d’être jugé, d’être ostracisé et d’être rejeté ?

À cause de ça.

J’ai tenu ma famille à l’écart.

Mes amis encore plus loin.

Mon réseau, mon milieu de travail dans le noir le plus complet.

Mais, une force en moi — je suis reconnaissant d’avoir été doté de résilience, qu’elle soit innée ou acquise grâce à mon environnement — m’a fait décider de persévérer et de survivre à ça.De vivre à ça.

Avec.

J’y ai fait face.

J’ai subi.

Regards remplis d’incompréhension.

Paroles pleines de jugement.

Rejets.

À cause de ça, des amitiés se sont étiolées.

Des amoureux ont pris fuite.

Des opportunités se sont dissipées.

Mais aussi.

D’autres amis ont pris la place laissée vacante.

D’autres amours ont saisi mon cœur.

D’autres occasions se sont présentées.

Ça ne me définit plus.

Ça n’est plus le même drame.

Ça n’est plus ça.

Je ne le subis plus.

Je ne l’endure plus.

Je ne suis plus ça.

Je suis plus que ça

Ça se nomme le VIH.

Je vis avec.

Je suis une personne.

Je suis une personne vivant avec le VIH.

Comments (1)

Jacques

Déc 21, 2021 at 8:35 AM Reply

Merci à toi. Plus on témoignera, plus la société évoluera.

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