Jacques : 73 printemps dont plus de 25 ans à cohabiter avec le VIH

L’œil pétillant et le sourire débordant de générosité, Jacques nous parle de son quotidien, de ses relations avec ses proches et sa famille, de sa vie de grand-père, de père, de retraité, de bénévole, de toutes les facettes qui font de lui ce qu’il est aujourd’hui.  

L’annonce

« J’ai attendu exprès de leur annoncer cette nouvelle-là, pour ne pas que ce soit une nouvelle de mort. »

C’est un long cheminement, il faut se remettre dans le contexte d’il y a 25 ans. J’avais trois enfants : ma cadette de 12 ans, l’ainée de 17 ans et mon fils de 13 ans. Des enfants qui ont su seulement deux ans après le diagnostic, donc en 1994, que j’étais un homme qui vivait avec le VIH. Il faut se rappeler que le VIH et le sida des années 1990, même si ce n’est pas une bonne nouvelle aujourd’hui, à l’époque, c’était une nouvelle catastrophique. J’avais une conjointe à qui je l’avais annoncé en 1992, qui a reçu cette nouvelle comme un choc. Les enfants aussi, même si j’ai essayé au maximum de les protéger : j’ai justement attendu deux ans pour être capable de leur dire « oui, je suis infecté par le VIH, mais regardez, je suis en bonne santé, ça va bien, je continue à travailler ». J’ai attendu exprès de leur annoncer cette nouvelle-là, pour ne pas que ce soit une nouvelle de mort. Tout au cours de ces années-là ils ont assumé, chacun à leur façon, le choc d’avoir un père séropositif.

Au jour le jour…

« Leur père séropositif, c’est juste un papa qui vieillit assez bien, mais qui pense plus aux problèmes reliés au vieillissement qu’aux problèmes reliés au VIH. »

Le quotidien de 2017 est un peu un quotidien banal, comme celui de toute famille. Un quotidien où chacun vit ses affaires, où j’ai des enfants qui sont en plein essor d’éducation familiale. Ils ont tous les trois deux enfants chacun qui varient entre 21 et 1 an, donc chacun se mobilise pour faire de ces enfants les meilleurs citoyens du monde avenir ! Leur père séropositif, c’est juste un papa qui vieillit assez bien, mais qui pense plus aux problèmes reliés au vieillissement qu’aux problèmes reliés au VIH. Je me suis toujours dit que je suis un homme favorisé à différents niveaux. Au niveau médical par exemple, je suis séropositif depuis plus de 25 ans et je n’ai jamais eu d’infections opportunistes, de maladies graves en lien avec mon infection. J’ai des enfants qui s’informent de la santé de leur papa, qui sont proches de moi. Le quotidien de mes enfants en lien avec le VIH, ce n’est plus tant ce qui nous pend au bout du nez avec le VIH, c’est plus ce qui nous pend au nez avec un papa qui vieillit, qui n’a plus l’énergie qu’il avait il y a 20 ans.

La mort

« On a toujours cette épée de Damoclès, où on se dit, peut-être qu’un jour, ça va finir par me rattraper. »

Ma conjointe étant décédée il y a une quinzaine d’années, ça a été un choc pour moi aussi. Car même si on vit bien avec le VIH, on a toujours cette épée de Damoclès, où on se dit, peut-être qu’un jour, ça va finir par me rattraper. Mais la vie a fait que la personne qui a été attrapée, c’est ma conjointe. Ça a été une perte importante dans ma vie, pour moi qui avait tellement eu peur de la mort, qui ait tellement eu peur de devoir dire au revoir à une foule de personnes. Et je vis encore, je suis toujours là pour dire adieu à plein de gens. Parce que c’est eux qui partent. Et ça je dois vivre avec : la perte de mes parents, la perte de ma conjointe, la perte de mes amis, mais pas nécessairement ceux qui vivent avec le VIH. Et ce qui me revient en tête, c’est que moi, je suis toujours là.

La famille

« Ce que je retiens surtout de ma présence auprès de mes filles, ce qu’elles m’en disent, j’ai été, je suis et je demeure un élément sécurisant. »

J’ai six petits enfants. Je ne peux affirmer pour tous s’ils savent que je vis avec le VIH, car je n’ai plus questionné mes enfants à ce niveau-là. Je sais que celui de 21 ans est au courant, il m’en a parlé quelque fois. Maintenant que mes enfants ont des enfants, je leur laisse la responsabilité d’en parler ou non, sachant qu’ils sont parents, c’est leur décision. Mes enfants n’ont jamais mis de barrières entre mes petits-enfants et moi, j’ai même eu le privilège d’assister à la naissance des enfants de mes filles, physiquement dans la salle d’accouchement. Pour un homme, c’est l’un des cadeaux les plus merveilleux que tes enfants peuvent te faire. C’est tout une autre dimension, de voir accoucher ses filles, c’est incroyable ! Ce n’était pas nécessaire que je sois là. Ce que je retiens surtout de ma présence auprès de mes filles, ce qu’elles m’en disent, c’est que j’ai été, je suis et je demeure un élément sécurisant.

Le dévoilement

« Je ne demande pas à toutes les personnes qui vivent avec le VIH de tous se dévoiler : que chacun suive son cheminement, que chacun fasse son dévoilement non pas en fonction de ce que les autres vont penser, mais plutôt en fonction de l’épanouissement que ça peut leur donner. »

Mes enfants ont été très présents. Ils ont même participé à une vidéo « Hommage à la vie » que le BLITS a fait. Ils ont accepté devant public de dire qu’ils avaient un papa qui était séropositif. Il fallait des enfants qui aient de l’audace pour faire ça. Car il y a beaucoup de personnes qui ne veulent pas dévoiler à leur enfant, ou qui ne veulent pas devant public dévoiler leur statut de séropositivité. Mes enfants m’ont suivi dans ce dévoilement sans aucune pression. Ce que j’entends d’eux c’est : « Papa, on est là, on va toujours être là ». C’est un support important, et tout mon engagement repose sur ce support-là, d’une part de mes enfants, mais aussi de mon réseau d’amis. Je n’ai pas perdu d’amis parce que j’ai dévoilé ma séropositivité. Les seuls reproches que j’ai pu avoir c’était « Tu aurais pu nous le dire plus tôt » car c’était un dévoilement très progressif. J’ai fait le dévoilement que j’ai voulu, à mon rythme. Je ne demande pas à toutes les personnes qui vivent avec le VIH de tous se dévoiler : que chacun suive son cheminement, que chacun fasse son dévoilement non pas en fonction de ce que les autres vont penser, mais plutôt en fonction de l’épanouissement que ça peut leur donner.

L’engagement

« Ma plus grande satisfaction, c’est que les gens que je rencontre lors de conférences ou témoignages soient aussi respectueux de qui je suis, que les gens soient contents de voir une personne de 73 ans avec le VIH, en bonne santé. »

Ce que je sais, c’est que la majorité des gens avec lesquels je suis en contact professionnel, en tant que bénévole, louent ce courage de s’être dévoiler publiquement, donc c’est plutôt valorisant. Ma plus grande satisfaction, c’est que les gens que je rencontre lors de conférences ou témoignages soient aussi respectueux de qui je suis, que les gens soient contents de voir une personne de 71 ans avec le VIH, en bonne santé. Ils ont parfois de la misère à croire ça. Car ils se sont beaucoup arrêtés au VIH des années 1990. Mais ces gens-là sont d’un accueil inconditionnel : des vieilles dames de 80 ans qui viennent me voir en me prenant les mains, en me faisant presque la bise. Il y a encore du monde qui est accueillant de ce que les autres vivent et je trouve ça merveilleux. C’est de là que je puise mon énergie à continuer de mener le combat. Je me considère chanceux qu’on m’ait donné la possibilité de représenter les personnes vivant avec le VIH, bien que je ne sois pas représentatif de ces personnes-là, de dire qu’on peut vivre avec le VIH et qu’on peut vivre heureux, même si on ne vit pas tous le bonheur de la même façon.

 

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Entrevue réalisée Yolaine Maudet avec Jacques Gélinas, porte-parole de la campagne Je suis séropositif.

Ce billet est une version légèrement modifiée d’un texte paru dans le numéro 25 du Remaides Québec, spécial témoignages.

 

 

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