À identités différentes, exclusions différentes

Journée mondiale contre l’homophobie et la transphobie

Quand je repense à mes années de cégep, je revois l’hypocondrie de mes amies qui, dans notre petite ville, faisaient tranquillement l’apprentissage de leur sexualité et paniquaient (bien qu’elles n’avaient pris aucun risque) chaque fois que leurs ganglions enflaient, puisqu’on leur avait dit que c’était un des symptômes du VIH. En cette journée de lutte contre l’homophobie, cette anecdote me fait penser à comment le VIH nous affecte et nous entraîne dans des rapports sociaux différents selon où l’on se situe sur le continuum des identités sexuelles.

Avec les années, ma sexualité a bien changé. Moi qui ai découvert celle-ci dans le milieu gai, puis ai appris les règles du BDSM[1] dans le milieu très sécuri-sexe des lesbiennes (qui n’a rien à envier à sa contrepartie masculine), je suis passé d’une identité gaie à celle de queer[2] et, finalement, à celle de bisexuel.

Alors que j’ai passé la majorité de ma vie de séropositif dans le milieu gai, avec les difficultés qu’on connait lié au dévoilement (rejets répétitifs et autres peurs), j’essaie depuis quelque temps de cruiser des filles hétéros. Il me semble faire face à une nouvelle difficulté, mais c’est peut-être simplement moi qui ai peur de vivre de nouvelles situations de rejet, alors que j’explore un nouveau pan de ma sexualité.

Habituellement, chez les hétéros, c’est de la grossesse dont on parle en premier lorsqu’on aborde les risques liés à la sexualité. Le VIH est une pensée beaucoup plus lointaine, comparativement à son omniprésence dans la vie des gais, martelée de pubs de prévention et de condoms gratuits. Aussi me semble-t-il devoir partir de plus loin pour expliquer l’abc du VIH, la charge virale et les CD4[3], la non transmission du VIH sous traitement antirétroviral efficace, etc. Mais ce n’est peut-être pas vraiment partir de plus loin, simplement d’ailleurs : le lien émotif y est autre et demande d’autres approches, fait appel à d’autres connaissances, imaginaire qu’il me reste à apprivoiser.

Quel lien faire avec l’homophobie ? C’est que pour moi, l’homophobie affecte différemment les gais, les lesbiennes, les bisexuels et les personnes transsexuelles (on parle alors de transphobie). On pourrait en dire autant de la sérophobie[4]. Les gais ont su bâtir une communauté de support autour de la maladie. Depuis que je suis à Montréal, j’ai rencontré plusieurs gais séropositives qui m’ont soutenu dans ma propre compréhension de ce que voulait dire pour moi vivre avec le VIH. Et si j’ai été rejeté, il y en avait pour m’accueillir et me dire que ces gars étaient des cons. Mais il me semble que les bisexuels n’ont peut-être pas la même possibilité d’avoir un réseau de support aussi fort, du fait des préjugés auxquels ils font face à la fois de la part de la communauté gaie et de la part des hétéros. Des études ont démontré combien les hommes hétérosexuels séropositifs étaient plus isolés face à leur maladie que les femmes ou les gais. Qu’en est-il des bisexuels?

Je me questionne donc, dans mes expériences actuelles, sur quel sera le réseau de support qui saura m’écouter, m’aider à faire évoluer les mentalités dans ces espaces où les discussions sur le VIH/sida auront d’autres formes que celles du milieu gai. Parmi mes craintes, celle de me faire renvoyer à une étiquette que je n’utilise plus pour parler de moi, celle de me faire réduire encore une fois à cette identité gaie qui a longtemps collé au VIH/sida, celle, en quelque sorte, de rentrer dans un nouveau placard.

Bruno.


[1] Bondage, Discipline, Domination, Soumission, Sadomasochisme

[2] Se revendiquer queer est un geste politique et social, l’enjeu étant de remettre en question les définitions des genres masculin, féminin, homosexuel, bisexuel, transsexuel… encore arbitrairement établie à partir du seul critère d’hétérosexualité. Il s’agit aussi d’un courant d’idées qui dépasse les frontières d’ordre sexuel pour interpeller le corps social sur les questions de lutte de classes et d’exclusion.

[3] Les CD4 sont des agents essentiels de défense du système immunitaire. La charge virale représente la quantité de virus présente dans le sang. Plus la charge virale est élevée, plus le virus détruit les CD4 et plus l’organisme est vulnérable aux infections. Les traitements visent à réduire la charge virale à un seuil minimal, permettant potentiellement de ramener le nombre de CD4 à un niveau suffisant pour que l’organisme puisse se défendre à nouveau contre les infections.

[4] Rejet des personnes séropositives, hostilité systématique à leur égard.

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