Les « spectateurs » et les « acteurs »
Roger Le Clerc est engagé dans la lutte au VIH/sida depuis les années 1980. Ayant commencé sa militance au Québec, il est maintenant établi à Ouagadougou au Burkina Faso. Dans ce billet, il aborde la façon dont son diagnostic de séropositivité est venu changer la trajectoire de sa vie.
Il y a près de 30 ans, un 14 juillet, j’apprenais que j’étais séropositif.
À l’époque, c’était une condamnation à mort en six mois. J’ai pleuré sur moi, mes amants, mes enfants, sur la disparition de la vie. Puis, la vie a continué. Pendant près d’une année, j’ai attendu la maladie, préparé à partir. Tous le savaient et nous vivions avec cette mort annoncée.
Rien, toujours rien. Donc, comme des milliers de séropositifs, j’ai compris que j’avais du temps devant moi : peu ou beaucoup, peu importe. Il m’appartenait de «faire» quelque chose ou d’attendre. J’ai choisi de faire. J’ai donc fait une multitude de choses, toujours dans l’attente de cette condamnation à mort : un peu comme un condamné qui passe 25 ans dans le couloir de la mort en prison, attendant que la sentence s’applique, la souhaitant même parfois.
Puis, la vie forte, puissante s’est emparée de moi : je voulais donner parce que j’avais beaucoup reçu, je voulais recevoir parce que j’avais tellement besoin de «goûter» avant de partir.
« J’ai l’intention de bien remplir ce temps pour mieux m’accepter, pour m’ouvrir aux autres et me laisser porter par ces nouvelles connaissances. »
Aujourd’hui, je vis au Burkina Faso, je tente d’y ouvrir une école à la québécoise dans la façon d’enseigner; je vis avec mon conjoint et son fils; je conduis ma moto dans ce pays qui est le mien, qui a toujours été le mien.
Si cette maladie m’a appris des choses, ce que je retiens est davantage le bilan que j’ai dû faire plusieurs fois au fil des ans. Ce qui m’a amené à percevoir que j’avais eu une vie pleine et que j’avais beaucoup de projets, de désirs et de joies à venir. J’ai également compris que le temps qui nous reste n’est pas très important. Ce qui compte, c’est ce que nous allons en faire.
Pour ma part, j’ai l’intention de bien remplir ce temps pour mieux m’accepter, pour m’ouvrir aux autres et me laisser porter par ces nouvelles connaissances. Ma vie a été heureuse, est toujours heureuse, même (peut-être) surtout à cause de cette condamnation à mort.
« Cette condamnation m’a permis de mieux comprendre qu’il y a dans la vie les spectateurs et les acteurs. »
Entendons-nous bien : je n’ai jamais apprécié les séropositifs-ves qui soutenaient que le sida leur avait permis de se connaître, de mieux se brancher sur la vie, de savoir maintenant la valeur du moment présent : j’ai horreur de ce discours. J’étais quelqu’un qui agissait sur la vie bien avant le sida. Mais, cette condamnation m’a permis de mieux comprendre qu’il y a dans la vie les « spectateurs » et les « acteurs ».
J’ai toujours été et serai toujours un acteur. Jusqu’à mon dernier souffle. Et je remercie ceux qui m’accompagnent que j’ai besoin de cette énergie pour survivre. Je n’ai pas de mérites, je ne peux vivre sans cette motivation de me lever le matin pour réaliser un rêve, une idée, un besoin.
Roger Le Clerc
[Crédit photo: Fugues]
D’autres témoignages comme celui-ci se retrouvent dans le numéro 25 du Remaides Québec.
Comments (1)
Jean-Marc Gallant
Mar 27, 2017 at 2:32 PM ReplyHeureux de lire ce billet. Roger a été, est et sera toujours un des modèles signifiant pour moi. Je suis arrivé dans ce monde du VIH-sida par la porte de ceux qui sont affectés par la perte d’amis. J’y ai croisé un Roger Le Clerc et bien d’autres personnes qui ont su me transmettre cette volonté de faire au lieu de simplement regarder. Merci à toi Roger et aussi à tous les autres qui j’en suis sur se reconnaissent 🙂