Salut Richard

Il y a plus de 24 ans que tu nous as quittés.

Je ne t’ai pas oublié, mais le temps a fait son œuvre. Les choses ont bien changé depuis. Comme tu dois le savoir de là-haut, bien d’autres amis sont morts aussi. Mais comme tu vois, je suis encore là, je survis. J’aurai vécu assez longtemps pour jouir du droit de mourir dans la dignité (comme si vos morts n’avaient pas été dignes!). Je pense souvent à vous, oui à vous tous qui avez disparu.

Imagine, je me suis même marié. Oui, marié, moi! Et avec un gars! Jamais en 1993 on aurait cru ça possible. Les deux familles étaient présentes. J’aurais aimé que tu, que vous soyez là.

Je suis devenu veuf assez rapidement, Jim m’ayant quitté peu après notre mariage. Lui aussi était séropositif, mais c’est un « simple » cancer du poumon qui l’a emporté. Depuis, je vis seul, je suis même retourné vivre à la campagne dans la maison familiale. Changer de village, quoi.

Tu n’as jamais visité mon coin, je t’envoie donc une photo prise de la galerie.

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C’est beau, mais un peu solitaire. Je ne peux pas dire que c’est bien « gai » par icitte. Il faudrait faire des kilomètres et des kilomètres pour faire des rencontres, et je n’ai jamais aimé conduire. De plus, plusieurs homosexuels de la région vivent encore dans le secret comme dans les années 1980. Pas capable, j’aime mieux être seul.

À Montréal, tu peux « cruiser » avec un téléphone intelligent. Ha! J’y pense–je viens de réaliser que tu es mort avant l’Internet, les cellulaires, les « Grindr » et « Facebook ». Enfin, juste te dire que les toilettes publique,  ça se fait pas mal moins aujourd’hui. Je pense que tu te serais débrouillé mieux que moi, t’as toujours été meilleur que moi à la « cruise ». N’argumente pas, c’est vrai!

Tu vois, survivre permet aussi de goûter au plaisir de vieillir. C’est curieux, tu te sens encore jeune dans la tête, mais ça craque de partout le matin; tu dois aller pisser dans le milieu de la nuit, et pas juste les soirs de grande beuverie; tu rencontres un jeune, même pas si jeune, puis tu réalises qu’il te voit comme son père. Ça fesse!

Je te laisse avant de trop me–et de te–démoraliser.

À bientôt,

René

P.S. J’espère que tu seras là pour m’aider à faire le grand saut, le temps venu!

Ce billet est une version légèrement modifiée d’un texte paru dans le numéro 25 du Remaides Québec, spécial témoignages.

 

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